La deuxième partie d’une contribution de Aurélie de Boissieu, auteur invité sur complexitys.com, à propos des « Digital Humanities ». Retrouvez la première partie de l’article ici.
Dans le texte ci-dessous, Aurélie cherche à comprendre comment et pourquoi l’Internet et les technologies numériques font évoluer le domaine de la recherche, en leur donnant un nouveau rôle dans le débat public. Une réflexion nécessaire et intéressante, d’autant plus qu’elle s’interroge aussi sur les possibles dangers de cette hybridation entre communication et recherche: comment concilier la qualité de la connaissance avec une communication en temps réel? La question de la gestion du temps et de l’énergie se pose.
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PHOTO CI-DESSUS: Internet Riot Police by Surian Soosay – flickr.com – CC – BY – 2.0
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Que transforme le numérique dans la diffusion de la recherche ?
Le numérique semble transformer la visibilité et le positionnement de la recherche dans la société. La diffusion numérique rend accessible des travaux auparavant plus confidentiels, et les temporalités de publication peuvent être très courtes si le chercheur le souhaite. Les travaux participent alors différemment aux débats publics.
L’article de Pierre Mounier « Qu’apportent les digital humanities ? Quelques exemples (1/2) (2/2) » [1] [2] est particulièrement marquant quant à la transformation des temporalités d’écriture et des canaux de diffusion. Ainsi P. Mounier revient sur une recherche d’A. Casilli et P. Tubaro sur les émeutes qui ont eu lieu à Londres entre le 6 et le 9 août 2011. Cette recherche « Why Net Censorship in Times of Political Unrest Results in More Violent Uprisings : A Social Simulation Experiment on the UK Riots » [3] a été menée en réaction, en quelques jours seulement, après l’assertion du Premier Ministre britannique David Cameron selon laquelle les réseaux sociaux auraient amplifiés ces émeutes. L’article dément l’assertion en montrant que les pics d’utilisation de twitter ne correspondent pas au moment des émeutes mais interviennent après.
Pierre Mounier dans son article rend compte de la stratégie de communication mise en œuvre par les auteurs de cette recherche : l’article a tout d’abord été publié sur une archive ouverte, puis sur leurs blogs et enfin par de nombreux médias (en particulier par des journaux en ligne). Pour P. Mounier, « l’originalité de la démarche des deux sociologues réside autant dans le tempo de leur publication que dans la méthode mise en œuvre » [1].
La recherche s’inscrit usuellement dans des temporalités longues qui permettent de prendre du recul. Ce n’est pas le cas de la recherche d’A. Casilli et P. Tubar. Celle-ci, effectuée dans l’urgence de l’actualité, s’appuyait sur des travaux préalables, en particulier pour la construction de la méthode d’analyse. Sa rapidité procède de sa visée qui consistait à vouloir participer au débat public et à vouloir éclairer l’action politique.
Cette visée « citoyenne » est également celle de la revue metropolitiques.eu [4] qui publie des textes de chercheurs et de praticiens pour un public d’universitaires mais aussi d’élus et de citoyens de tous bords, en vue d’enrichir le débat sur la ville et l’aménagement [5].
Le numérique semble pouvoir transformer la visibilité et le positionnement de la recherche dans la société.
L’étude de données numériques et la publication en ligne de recherches permettent par ailleurs d’associer, en ligne, un résultat scientifique à ses références et ses sources, voire même, directement au corpus de données analysées. Un autre rapport à la recherche, questionnant les notions d’expertise et de transparence s’en suit [à ce sujet, voir le podcast de l’émission « la place de la toile » du 2 juillet 2010 https://www.franceculture.fr/emission-place-de-la-toile-digital-humanities-2010-07-02.html sur les Digital Humanities] [6].
Notre interrogation nous conduit donc à croire que le recours au numérique pour la diffusion de la recherche favorise la participation des publications aux débats publics ainsi que l’engagement citoyen du chercheur (même si la responsabilité sociale des scientifiques va bien au-delà [7]).
Dans certains cas, le « blogging scientifique » favorise également une réflexivité du chercheur sur sa pratique scientifique. Cela opère au travers, par exemple, de la soumission de sa recherche mais également au travers de réflexions spécifiques qui ne peuvent être publiées dans les circuits traditionnels de la recherche ( infusoir.hypotheses.org ).
La mise en visibilité de questionnements peut créer des rencontres, cela a parfois donné lieu à la création de réflexions communes notamment sur des blogs collectifs comme sur reflexivites.hypotheses.org.
Danger des impacts du numérique pour la diffusion de la recherche
Interroger les impacts du numérique sur la recherche pour les comprendre mais également faire évoluer les pratiques de la recherche, impose de les aborder dans le sens de leurs apports mais également du point de vue des risques qu’ils peuvent entraîner.
La transformation des temporalités de publication par exemple, pose la question de la viabilité d’une immédiateté de la recherche. Ainsi Pour P. Mounier, le travail d’A. Casilli et P. Tubaro, réalisé dans l’urgence de l’actualité, ne propose pas un cadre alternatif de compréhension de la réalité sociale [8]. Les auteurs réutilisent un cadre élaboré dans d’autres recherches qui, selon P. Mounier, n’exploite pas la richesse des méthodes d’enquêtes et de recherche exposées par A. Casilli lui-même dans son ouvrage Les liaisons numériques [8].
Par ailleurs, la transformation des modalités d’écriture offertes aujourd’hui par le blogging scientifique pose la question de la qualité scientifique de la recherche qui, souvent, est mise en ligne sans la relecture d’un comité de lecture expert et qui pourrait en garantir le contenu.
Nous reprendrons ici la conclusion de P. Mounier [2], qui, s’il convient que l’enthousiasme provoqué par les Digital Humanities soit justifié, met le lecteur en garde contre les écueils qu’elles représentent également.
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Notes :
[1] Pierre Mounier « Qu’apportent les digital humanities ? Quelques exemples (1/2) »
[2] Pierre Mounier « Qu’apportent les digital humanities ? Quelques exemples (2/2) »
[3] Antonio A. Casilli et Paola Tubaro, « Why Net Censorship in Times of Political Unrest Results in More Violent Uprisings : A Social Simulation Experiment on the UK Riots », SSRN eLibrary, 2011 https://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm ?abstract_id =1909467
[4] metropolitiques.eu https://metropolitiques.eu/
[5] Compte Rendu de la séance « Visibilité et partage de la recherche : Comment penser la présence de sa recherche sur internet ? » du séminaire doctoral « les Cafés de l’Après Thèse »
[6] l’émission « la place de la toile » du 2 juillet 2010 sur les Digital Humanities
[7] FAURY Mélodie, 2011. « Comment aborder la question de la responsabilité sociale des scientifiques ?» in L’infusoir ; consultable sur https://infusoir.hypotheses.org/1154 (consulté le 27-04-2012)
[8] CASILI Antonio, 2010. Les liaisons numériques. Editions du seuil. Paris
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Références :
CASILI Antonio, TUBARO Paola, 2011. « Why Net Censorship in Times of Political Unrest Results in More Violent Uprisings: A Social Simulation Experiment on the UK Riots » in sSocial Science Research Network consultable sur : https://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=1909467 (consulté le 27-04-2012)
CASILI Antonio, 2010. Les liaisons numériques. Editions du seuil. Paris
COLEMAN Gabriella, Anonymous, 2011. « Du lulz à l’action collective » in owni.fr consultable sur : https://owni.fr/2011/12/12/anonymous-lulz-laction-collective-wikileaks-hackers/ (consulté le 27-04-2012)
DACOS Marin, 2009. « Comment mieux faire connaitre mes recherches » in homo numericus. Consultable sur : https://blog.homo-numericus.net/article10288.html (consulté le 27-04-2012)
« Digital Humanities » émission de Xavier DE LA PORTE « Place de la toile » sur France Inter, avec Jean-Philippe Magué, Marin Dacos, Stéphane Pouyllau et Corinne Welger-Barboza. Podcastable sur https://www.franceculture.fr/emission-place-de-la-toile-digital-humanities-2010-07-02.html (consulté le 27-04-2012)
FAURY Mélodie, 2011. « Comment aborder la question de la responsabilité sociale des scientifiques ?» in L’infusoir ; consultable sur https://infusoir.hypotheses.org/1154 (consulté le 27-04-2012)
MOUNIER Pierre, 2011. « Qu’apportent les digital humanities ? Quelques exemples (1/2) (2/2) » » in homo numericus. Consultable sur https://homo-numericus.net/spip.php?breve1011 (consulté le 27-04-2012)
Et encore plus d’informations dans la proposition de plan de l’ouvrage Read Write Book 2 du CLEO ici : https://readwritebook.pbworks.com/w/page/50944175/Proposition%20de%20plan
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Ce billet a été écrit par Aurélie de Boissieu, auteur invité sur complexitys.com
Doctorante en Architecture spécialisée sur la Modélisation Paramétrique, Aurélie a déjà publié les articles: Conception architecturale et/ou modélisation paramétrique?, Le numérique en agence d’architecture : Quelles hybridations des pratiques? 1/2, Le numérique en agence d’architecture : Quelles hybridations des pratiques? 2/2 ainsi que la première partie de cet article: DIGITAL HUMANITIES /// Quid des impacts du numérique sur la recherche universitaire ? (1/2)
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