Extrait du film Metalosis Maligna de Floris Kaayk, relayé par les blogueurs Foscos Lucarelli et Léopold Lambert
Dans les agences d’architecture qui revendiquent le recours à des techniques numériques, comment ces techniques sont-elles pratiquées? Par qui ? Quels liens entretiennent-elles avec la conception du projet?
Quand les agences intègrent le scripting ou la modélisation paramétrique à leur process, on remarque que, la plupart du temps, seul un petit groupe d’individus manient ces techniques. La modélisation numérique devient alors une pratique experte et une spécialité à part entière ; ses acteurs ne sont pas les mêmes que ceux qui conçoivent les projets.
Cependant, quand on parle d’« architecture numérique », modélisation et conception semblent entremêler jusqu’à se transformer l’une l’autre : elles semblent presque s’hybrider. Est-ce réellement le cas ? Modélisation et conception peuvent-elles s’hybrider même quand elles ne sont pas pratiquées par les mêmes acteurs? Comment ?
Il m’a semblé intéressant d’observer quelques unes de ces pratiques numériques, notamment celles qui impliquent la modélisation paramétrique.
- La consultation externe
Scripting, modélisation paramétrique : qui met les mains dans la machine pour développer les modèles et/ou les codes ?
On s’aperçoit que le développement de codes et de modèles paramétriques est généralement sous-traité à des consultants externes. En effet, ce ne sont pas des compétences courantes : il est rare que ces techniques soient maitrisées par des architectes au sein même de leurs agences. D’autant que les projets nécessitant ces interventions sont rares… « Construire un modèle paramétrique » est donc, en général, une mission dévolue à une équipe de spécialistes.
Gehry Technologies Europ, DesigntoProduction ou Decode sont, parmi d’autres, des agences souvent amenées à répondre à ces missions qui concernent, entre autres, la rationalisation de géométries complexes et l’assistance à la fabrication.
Pour le projet de la Fondation Pathé à Paris par l’agence RPBW, DesigntoProduction s’est chargé de développer, entre autre, un modèle sur Digital Project qui devait représenter la géométrie globale du projet et de la façade en particulier. Cette mission s’accompagnait d’une collaboration sur la définition de la géométrie elle-même.
De la même façon, Gehry Technologies Europ est intervenu sur le projet de musée de la culture qatarite de Dhoa pour l’agence AJN. Cette fois, la mission concernait l’assistance à la représentation et à la fabrication du projet.
Le contexte dans lequel s’inscrit la mission de l’équipe de Decode pour le projet des nouvelles Halles de Paris est différent car le modèle paramétrique n’était pas commandité par les architectes dans le cadre du développement du projet, mais par les ingénieurs en structure. Le modèle devait permettre d’avoir une vision globale du projet et de contrôler toutes les géométries. Chaque élément étant différent, le modèle paramétrique est ici pertinent pour représenter et vérifier la cohérence du projet et de sa constructibilité.
Pour le musée qatari ou la Fondation Pathé, les modèles paramétriques ont été construits parallèlement au développement des projets et les ont accompagnés. Pour les Halles, le modèle paramétrique a été construit en fin de projet pour le contrôle des géométries.
Canopée des Halles de Paris : outil BIM développé par Decode en collaboration avec le CSTB © Decodebim
Dans ces trois cas d’intervention du numérique, on In a perilous economy poor credit loan is less like money. est très proche des pratiques de BET tels que Elioth, RFR ou Bollinger Grohman qui associent calcul, modélisation et gestion de géométries complexes. Ces pratiques oscillent entre l’ingénierie, le pilotage de maquette numérique et l’architecture, d’où leur intérêt. La plupart des membres des équipes revendiquent alors la double identité d’ingénieur-architecte.
Etre architecte est indispensable pour mener à bien ces nouveaux métiers qui permettent, comme le revendique Valerio Bonora (agence Decode), de : « faire ce que l’on ne peut faire qu’avec une maquette numérique » (Bonora, 2011).
- La consultation interne
Si faire appel à des experts extérieurs est courant, il semble que, dans certaines agences, des collaborateurs sont formés pour assurer la modélisation des projets. Spécialisés, ils interviennent alors « à la demande » sur des projets dont ils ont rarement la responsabilité. Dans ces cas là, une équipe d’experts se constitue au sein de l’agence. Ces experts « maison » développent des scripts, des modèles paramétriques, des routines et trouvent des solutions géométriques. Ils deviennent alors des « consultants internes ».
Gehry Technologies était à l’origine une équipe interne à Gehry Partners. Cette cellule de modélisation travaillait alors sur CATIA et développait petit à petit une version métier du logiciel: Digital Project. De fil en aiguille, cette équipe est devenue experte et est intervenue sur des projets autres que ceux de Gehry Partners, jusqu’à s’externaliser complètement. Aujourd’hui, l’équipe de Gehry Technologies Global (le bureau de Los Angeles, le bureau Gehry Technologies Europ est à Paris) fonctionne sur le mode de la consultance sur les projets de Gehry Partners qui est un client parmi d’autres.
Foster Partners possède également son équipe de consultants internes : le Speciallist Modelling Group (SMG). Le SMG regroupe une vingtaine d’experts qui interviennent en appui des cinq équipes de conception de l’agence. Chez Foster Partners, recourir à des experts internes est fréquent. L’agence comprend ainsi de nombreuses « in house consultancies » : pour les calculs de structure, l »évaluation de la qualité environnementale des projets, l »urbanisme, etc.
- Le numérique comme activité experte, une pratique incontournable dans les agences d’architecture
Ce phénomène de spécialisation des tâches et des acteurs s’observe également dans de petites agences qui se revendiquent être « hybrides ». Dans l’agence HDA, par exemple, chaque membre de l’équipe est spécialisé. La plupart du temps, celui qui développe un script sur un projet n’est pas lui-même chargé de la conception sur ce projet. La programmation ou le développement de modèle numérique est alors une spécialité comme une autre.
Aujourd’hui, en agence, le numérique reste une pratique experte. Mais même quand modélisation et conception architecturale sont menés par des acteurs différents, modélisation et conception semblent s’intriquer jusqu’à se transformer l’un l’autre. Comment cela est-il pensable ? De quelle « hybridation » s’agit-il alors ?
Références :
Bonora V., 2011. Communication lors de la conférence « Formes Complexes 2.0» à l’ENSA Paris la Villette en juin 2011
Exposition « les Halles le nouveau cœur de Paris » au Pavillon de l’Arsenal (déc. 2010 à mars 2011) commissariat de l’exposition : Patrick Berger in https://www.pavillon-arsenal.com/expositions/thema_modele.php?id_exposition=232
https://www.fosterandpartners.com/Data/WayWeWork.aspx
https://www.gehrytechnologies.com/
www.designtoproduction.com
https://www.decodebim.com/
https://www.3ds.com/fr/products/catia/portfolio/digital-project/
https://www.bollinger-grohmann.de/
https://www.floriskaayk.com/work.html
https://thefunambulist.net/2011/12/24/fine-arts-metalosis-maligna-the-disease-of-the-future-by-floris-kaayk-on-socks-studio/
Ce billet a été écrit par Aurélie de Boissieu, une doctorante qui travaille sur la modélisation paramétrique et qui a dejá publié sur complexitys l »article Conception architecturale et/ou modélisation paramétrique ?
2 comments
“Si la personne chargé de la conception n’est pas la même qui est chargé de la modélisation numérique, pourquoi nous observons une hybridation de ces deux processus?”
Question très interessante, abordable depuis different points de vue.
Je vais partir d’un exemple de cas réel.
Un jour, lors du concours des Pylônes Terna, Hugh Dutton, passant devant un de nos ordinateurs, a dit: « Pourquoi pas faire des pylônes électriques tous différents entre eux, au lieu de proposer un seul dessin standardisé qui se repet? »
Même si Hugh a l’habitude de nous surprendre avec ce genre de propos, j’ai compris ce jour là que, sans avoir jamais travailler un script ou un fichier grasshopper, il avait complètement integré les principes du design paramétrique. Nous modelisions depuis 2 ou 3 ans avec des methodes parametriques et Hugh avait simplement absorbé cette connaissance et il l’avait transporté dans son domain (la conception du projet).
Nous pouvons imaginer que seulement une petite partie de notre prodution creative est exploité et utilisé dans notre activité quotidienne. Notre cerveaux classifie naturellement de “impossible” ou “difficile” une grande partie des idée que nous sommes capables d’elaborer.
Cette classification est fortement lié aux contraintes technologiques auxquelles nous sommes soumis. Les outils parametriques nous liberent d’une grande partie des contraintes que nous avons traditionellement consideré comme des limitations obligées.
L’hybridation trouve un terrain fertile dans un environnement transdisciplinaire, oú la modelisation, l’architecture, le dessin, l’ingenieurie se developpe dans le même espace physique, l’agence hybride.
Cela explique aussi pourquoi l’innovation se produit souvent dans des “terrains vagues”, aux croisement entre l’art, la technique, l’architecture et la technologie.
Aurelie, dis moi ce que tu en pense.
Merci encore pour ton article.
Francesco
Merci pour ton commentaire Francesco ! C’est une anecdote significative en effet.
D’ailleurs beaucoup de chercheurs abordent la question de « l’architecture numérique » sous l’angle du changement de paradigme ou du rôle de la culture numérique. Dans ce cas là c’est alors vraiment l’imaginaire et le mode de penser qui se transforment (mais comment ? souvent la question persiste…).
Dans la plupart des agences, finalement, quand les architectes se lancent dans un projet un peu spécifique, ils sont accompagnés par l’idée que « ça doit bien être possible » et décharge la compétence et l’exécution technique à un collaborateur. Ca m’interpelle toujours puisqu’on peut s’interroger sur ces « terrains vagues » comme tu les nommes. Ca n’est pas simple de collaborer et d’hybrider dans ces cas là, pourtant ce sont les situations avec lesquelles, la plupart du temps, il faut composer….
Ce que j’avais en tête aussi pour cet article c’était de questionner l’opposition « tool users » « tool makers » proposés par Kostas Terzidis. Cette opposition est parlante puisqu’elle s’observe vraiment dans la réalité, pourtant elle ne suffit pas à en rendre compte, puisque malgré tout une hybridation s’observe.