La question avec laquelle on ouvre ce billet est, je sais, une question de franc-tireur. Pourtant, le bref texte avec lequel je commence mon expérience chez Complexity ne prétend pas être une réponse, mais plutôt le résumé des doutes surgies pendant mes échanges avec Francesco Cingolani qui ont eu lieu à Super Belleville Coworking. Architecture paramétrique, design paramétrique (et même des pâtes paramétriques) sont des concepts que j’ai inclus dans mon vocabulaire au long de ces derniers mois, et pourtant je ne suis toujours pas capable de formuler une définition de ce qui est « paramétrique ». Mais ce qui a fait bouger lacasinegra (collectif artistique et de recherche auquel j’appartiens) depuis ses débuts,ce sont les défis et les questions sans réponses immédiates : donc je me suis demandé (et pourquoi pas ?), existerai-t-il aussi un cinéma paramétrique ? Serons nous capables d’appliquer certains concepts qui côtoient la définition des pratiques paramétriques au domaine de l’audiovisuel contemporain ?
Malgré le fait que la conjonction cinéma + paramétrique puisse sembler abracadabrante, il y a déjà eu des théoriciens qui ont employé ce terme pour parler de la suprématie de la forme sur le contenu (par exemple David Bordwell qui est, du coup, le premier nom à apparaître quand on googlelise « cinéma paramétrique »). Non obstant, si on fait appel aux aspects clé qui definisseent l’architecture paramétrique de nos jours, on réalise qu’il éxiste pas mal de parallélismes avec les pratiques audiovisuelles contemporaines comprises dans un sens large, sortant des strictes marges qui délimitent le cinéma industriel.
Code, code, code
Comme on peut lire dans le blog d’ecosistema urbano, « l’architecture paramétrique, dont on parle de plus en plus, peut se définir d’une façon très simple comme une nouvelle forme de compréhension du projet et du design d’architecture. Il bénéficie des nouvelles technologies informatiques de design automatique ». On pourrait donc dire que l’une des questions principales posée par le design paramétrique est la façon dont les codes peuvent générer automatiquement des formes, ou des designs, d’une complexité infiniment supérieure à celle que peut réussir un humain.
Le code dans le cinéma pourrait se traduire comme la construction d’un langage spécifique constitué par des sons et des images en mouvement, qu’un spectateur peut décoder afin de comprendre ce qui y est dit. Même si le langage cinématographique ne constitue pas une loi universelle en soi, on peut sans doute affirmer qu’il existe certains codes développés au long de l’histoire du cinéma institutionnel qui sont très enracinés dans notre culture de spectateur (prenons comme exemple le « champ contre champ » pour définir les regards dans une conversation en tête à tête). En effet, s’il y a une chose inhérente au langage cinématographique, c’est la construction d’un récit à partir du montage.
Dans le terrain des pratiques audiovisuelles contemporaines, et plus concrètement, de celles qui se développent dans/par/pour un contexte internet, la génération automatique de codes d’écriture et de montage audiovisuel dans l’histoire du cinéma a supposé un progrès d’extrême importance. Jusqu’au point ou l’on parle déjà d’un Web Native Cinéma, c’est à dire, d’un cinéma qui se pense, qui se génère, qui se distribue et qui se consomme depuis et dans l’environnement internet.
De cette manière, le dispositif audiovisuel pourrait changer sa propre nature et s’élargir énormément, comprenant d’autre genres de paramètres tels que : des plans, des informations webs, des links directs à d’autres films, des applis de réalité augmentée etc. Ainsi, selon Maria Yaniez, on aura passé de « la web comme Platforme de publication à la web comme matière primaire. On se trouverait devant la naissance d’un natif cinéma web ».
Le processus
Si dans l’architecture paramétrique, le processus prend autant d’importance que l’œuvre finale, dans les nouvelles pratiques audiovisuelles on assiste à un mouvement semblable, puisque le développement de ces nouvelles technologies vis à vis des techniques de montage prend une place capitale. Si la tradition du cinéma Hollywoodien a fait un effort pour effacer les traces du processus, c’est à dire, pour nous faire croire que tout ce qu’on voit est vrai, qu’il n’y a aucun artifice, qu’il n’y a pas de manipulation derrière sa machine créatrice, le cinéma qui se fabrique aux marges de ce système propose tout le contraire. Le montage/processus de construction ne doit pas seulement effacer les traces du montage, mais les revendiquer, les rendre visibles et évidentes.
Le remix
Les nouvelles technologies et, surtout l’apparition des nouvelles chaines de distribution audiovisuelle gratuite dans la web (prenons YouTube comme exemple paradigmatique), ont garanti que l’audiovisuel contemporain, et la tendance que marque le Web Native Cinema, soit celle d’un cinéma remixé. Le remix, deviendra donc un signe authentique d’identité des pratiques contemporaines. Jusqu’au point que certains auteurs ne parlent plus de cinéastes mais directement des hackers.
Une des questions intéressantes qui combine ces deux aspects que l’on vient de citer (la génération d’un code et la revendication du processus face à l’œuvre) est de savoir si la tendance du remix audiovisuel (ou du cinéaste hacker) se dirige davantage vers la sélection personnalisée des contenus pour donner une vision individuelle ou si elle se dirige, plutôt, vers la génération de codes qui, de manière aléatoire, construiront désormais nos récits audiovisuels.
Note : Ce texte de Elena López Riera ( collectif lacasinegra ) est la première partie d’une réflexion plus large sur la question du cinéma paramétrique. Suivez complexitys.com pour en savoir plus.
3 comments
Je pense que, si on s’en réfère à la description du cinema « paramétrique » tel que vous l’énnoncez dans l’article, une grande partie de l’oeuvre de Norman McLaren me semble y correspondre (et il n’est pas le seul mais c’est celui qui me revient immédiatement) .
Des oeuvres qui sont determinées avant tout par l’outil utilisé et par un procédé automatisé de l’utilisation de ces outils.
Qu’en pensez-vous?
Effectivement je crois que McLaren et tous ces qui ont travaillé le cinéma comme une sorte d’instrument mécanique (c’est à dire loin des présupposés du cinéma narrative hollywoodean) pourraient rentrer dans le cadre de cette formulation. De toute façon j’y repenserai à ces exemples de cinéma plus « artisanal » pour la deuxième partie de l’article, qui est plus focalisé sur l’usage des nouvelles technologies et du cinéma fait pour la web.
De toute façon cela n’était qu’une première tentative de réponse théorique, alors tous les commentaires sont très bienvenues, merci beaucoup pour le vôtre!
[…] deuxième partie d’une réflexion plus large sur la question du cinéma paramétrique. Retrouvez ICI la première partie de […]