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« Par delà toute intention polémique, cet exorde négatif doit nous servir à lister une série de critères auxquels nous souhaiterions tenter de répondre positivement pour ne pas laisser échapper ce qui est véritablement en jeu dans la possibilité d’une architecture non-standard au jour d’aujourd’hui. Il est question de forme, de cité et de productivité.
Commençons par la forme, car pourquoi le nier, il y a bien là « fascination ». En effet, un extraordinaire sentiment de puissance envahit tout architecte à qui les modeleurs de CAO donnent le moyen de générer des surfaces qu’il ne saurait absolument pas dessiner à la règle et au compas. A cet égard, on peut considérer trois cas de figures. Le sentiment de toute puissance peut venir en premier lieu de modeleurs très ergonomiques, tels Rhino, qui donne le moyen de dessiner très facilement des surfaces suffisamment complexes pour qu’on ne soit même plus certain de leur cohérence spatiale. Le grand public n’en a encore aucune idée, mais tirer les points de contrôles d’une surface Nurbs pour générer une surface fluide est désormais à la portée de n’importe quel utilisateur après une demi-heure de d’apprentissage, et c’est très bien comme cela. Qu’en revanche il s’agisse ensuite de contrôler ces surfaces, de les modifier en agissant sur leurs cotes, de leur conférer une épaisseur et de les fabriquer, voilà une autre paire de manches et là commence le jeu du mistigri : c’est-à-dire transmettre les problèmes à quelqu’un d’autre tout en multipliant le budget. D’où l’adage, maintes fois répété par des architectes lucides comme Alejandro Zaera Polo : rien ne se construit qui soit transposable sur Autocad.
Deuxième cas de figure : l’utilisation de générateurs complexes, tels les simulateurs de mouvements de particules qu’on trouve sur les logiciels d’imagerie tels Maya, Softimage et autres. Logiciels qui ne sont nullement critiquables en soi, mais qui n’ont jamais été pensés pour fabriquer des objets concrets, et qui donc ne se soucient guère d’assurer, par exemple, que les quatre coins d’une planche soient coplanaires. Dans le premier cas, la fascination venait de la simplicité d’une interface transparente, dans ce deuxième cas ce sentiment provient de ce qu’on dispose au contraire de moteurs tellement complexes qu’on ne contrôle plus le dispositif de génération et que le résultat nous arrive comme revêtu d’un manteau d’innocence : celui du hasard ou de l’accident. Dans les faits, ce chaos est entièrement déterministe, mais comme on ne comprend pas les déterminants algorithmiques, les formes sont empreintes d’une sorte d’aura conférée par l’aléatoire prétendu.
Enfin, il y un troisième cas, finalement beaucoup plus honnête, qui consiste à se passer de la boîte noire informatique, pour tout simplement tordre des feuilles de papier, comme un vielle esquisse de sculpture, procédé qui a l’avantage de créer des surfaces développables, c’est-à-dire à courbures nulles, ce qui revient à dire que ces surfaces sont intrinsèquement euclidiennes. On devra alors digitaliser la maquette en papier, pour la transférer sur un logiciel qui régularise les surfaces, avant de fournir les fichiers à des entreprises virtuoses du prêt-à-porter architectural.
Dans ces trois démarches, le « non-standard » revient à dire « original » ou « complexe », mais, dans tous les cas, on ne sort pas d’un état d’esprit Beaux-Arts, qui veut faire du projet architectural une œuvre de création individuelle. Et de ce point de vue, l’architecture non-standard s’inscrit dans une tradition de l’unicum, transversale à tous les modes de production : artisanal, artistique, industriel ou digital. Le point de vue alternatif, c’est la série : l’objet comme instance sur un continuum. »
Bernard Cache et Patrick Beaucé
Extrait de vers un mode de production non-standard, publié dans la série Fresh Architecture aux éditions SpringerWienNewYork à l’occasion d’une série d’expo à l’institute for cultural policy de Hambourg.
Commençons par la forme, car pourquoi le nier, il y a bien là « fascination ». En effet, un extraordinaire sentiment de puissance envahit tout architecte à qui les modeleurs de CAO donnent le moyen de générer des surfaces qu’il ne saurait absolument pas dessiner à la règle et au compas. A cet égard, on peut considérer trois cas de figures. Le sentiment de toute puissance peut venir en premier lieu de modeleurs très ergonomiques, tels Rhino, qui donne le moyen de dessiner très facilement des surfaces suffisamment complexes pour qu’on ne soit même plus certain de leur cohérence spatiale. Le grand public n’en a encore aucune idée, mais tirer les points de contrôles d’une surface Nurbs pour générer une surface fluide est désormais à la portée de n’importe quel utilisateur après une demi-heure de d’apprentissage, et c’est très bien comme cela. Qu’en revanche il s’agisse ensuite de contrôler ces surfaces, de les modifier en agissant sur leurs cotes, de leur conférer une épaisseur et de les fabriquer, voilà une autre paire de manches et là commence le jeu du mistigri : c’est-à-dire transmettre les problèmes à quelqu’un d’autre tout en multipliant le budget. D’où l’adage, maintes fois répété par des architectes lucides comme Alejandro Zaera Polo : rien ne se construit qui soit transposable sur Autocad.
Deuxième cas de figure : l’utilisation de générateurs complexes, tels les simulateurs de mouvements de particules qu’on trouve sur les logiciels d’imagerie tels Maya, Softimage et autres. Logiciels qui ne sont nullement critiquables en soi, mais qui n’ont jamais été pensés pour fabriquer des objets concrets, et qui donc ne se soucient guère d’assurer, par exemple, que les quatre coins d’une planche soient coplanaires. Dans le premier cas, la fascination venait de la simplicité d’une interface transparente, dans ce deuxième cas ce sentiment provient de ce qu’on dispose au contraire de moteurs tellement complexes qu’on ne contrôle plus le dispositif de génération et que le résultat nous arrive comme revêtu d’un manteau d’innocence : celui du hasard ou de l’accident. Dans les faits, ce chaos est entièrement déterministe, mais comme on ne comprend pas les déterminants algorithmiques, les formes sont empreintes d’une sorte d’aura conférée par l’aléatoire prétendu.
Enfin, il y un troisième cas, finalement beaucoup plus honnête, qui consiste à se passer de la boîte noire informatique, pour tout simplement tordre des feuilles de papier, comme un vielle esquisse de sculpture, procédé qui a l’avantage de créer des surfaces développables, c’est-à-dire à courbures nulles, ce qui revient à dire que ces surfaces sont intrinsèquement euclidiennes. On devra alors digitaliser la maquette en papier, pour la transférer sur un logiciel qui régularise les surfaces, avant de fournir les fichiers à des entreprises virtuoses du prêt-à-porter architectural.
Dans ces trois démarches, le « non-standard » revient à dire « original » ou « complexe », mais, dans tous les cas, on ne sort pas d’un état d’esprit Beaux-Arts, qui veut faire du projet architectural une œuvre de création individuelle. Et de ce point de vue, l’architecture non-standard s’inscrit dans une tradition de l’unicum, transversale à tous les modes de production : artisanal, artistique, industriel ou digital. Le point de vue alternatif, c’est la série : l’objet comme instance sur un continuum. »
Bernard Cache et Patrick Beaucé
Extrait de vers un mode de production non-standard, publié dans la série Fresh Architecture aux éditions SpringerWienNewYork à l’occasion d’une série d’expo à l’institute for cultural policy de Hambourg.
de archiact.fr, Merci Alexandre Pachiaudi.