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Architectures non standard, huit ans après…

by HDA Paris

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Photographie de l »exposition Architectures non standard
Source image : 0lll.com

Je me suis intéressé il y a peu de temps à un événement qui s’est déroulé fin 2003 au Centre Pompidou, une exposition mettant en scène douze agences internationales qui ont développé une recherche et une mise en application des outils numériques pour la conception, la production et la distribution d’éléments constructifs de l’architecture. Architectures non standard regroupait les travaux d’Asymptote, dECOI Architects, DR_D, Greg Lynn FORM, KOL/MAC Studio, Kovac Architecture, NOX, Objectile, Oosterhuis.nl, R&Sie, Servo et UN Studio.
Elle s’organisait autour de leurs travaux, réalisés ou expérimentaux, mais aussi autour d’un atelier de production, mettant en valeur la continuité entre les techniques de prototypage et l’industrialisation. C’est bien ici que se trouve le point fondamental, dans un lien fort entre les technologies numériques de la conception, mais aussi celles de la production. Il est clair que la généralisation de l’informatique a changé la manière d’aborder la conception d’un projet, et l’exemple de l’agence HDA en témoigne. Cependant, alors que les industries automobiles et aéronautiques utilisent cet outil sur les chaînes de production, la construction de l’architecture semble garder son caractère artisanal.

Qu’est-ce que le non standard ?
La notion de non standard est avant tout une théorie mathématique apparue en 1961 dans les travaux de Abraham Robinson. Cette nouvelle méthode d’analyse donnait une nouvelle place au calcul infinitésimal. Cette approche touchait alors toutes les disciplines où des systèmes algorithmiques étaient utilisés, que ce soit en physique, en biologie et en économie.
Ce qui est intéressant, c’est le fondement même de cette théorie. Selon Robinson, les infinitésimales peuvent être assimilées à des nombres utilisables dans toute opération logique et mathématique. L’analyse non standard crée donc de véritables outils d’approximation.
Les mathématiques sont passionnantes, mais ne nous trouvons-nous pas sur un blog d’architecture ? C’est bien dans cette idée d’approximation fine qu’un lien entre l’analyse non standard et l’architecture peut être trouvé. En effet, le recours à l’outil numérique dans la création d’un projet semble rejoindre une certaine idée de recherche par tâtonnement de la forme. La généralisation de l’informatique a permis aux architectes d’étendre les investigations formelles. Avec un modèle numérique, les jeux de déformation complexes de courbes, surfaces et volumes deviennent très intuitifs, et c’est donc avec une certaine facilité que de nombreux essais formels sont réalisés. La conception paramétrique représente à mon avis le meilleur exemple de cet échantillonnage de solutions. Une fois les données entrées et correctement liées, une simple action sur  un paramètre impacte directement la forme globale du projet.
Le non standard, un style particulier ?
Comme nous l’avons vu dans la partie précédente, l’architecture non casino online standard n’induit pas un usage du numérique comme simple outil de représentation. Il s’agit d’une véritable aide à la conception, si nous nous attachons à la facilité donnée à l’architecte à générer de nombreuses formes. Cependant, même si les possibilités formelles données paraissent infinies, nous assistons à l’émergence d’un certain style de l’architecture numérique. Depuis les premiers blobs de Greg Lynn, le caractère mouvant et dynamique de cette architecture générée par ordinateur est frappant. Ce formalisme paraît alors inséparable de l’ambition de se référer à des dynamiques générales et d’exprimer le mélange complexe de stabilité et d’instabilité qui caractérise le monde contemporain.
Nous ajouterons par ailleurs que ce caractère mouvant est appuyé par le processus même de conception. L’échantillonnage de déformations effectuées sur un modèle s’approche d’une certaine personnification, d’une histoire de l’ouvrage. Une histoire que le concepteur aurait figé dans un de ses plus beaux moments pour déterminer la forme finale du bâtiment. Ce que l’ouvrage nous donne à voir une fois terminé, ce n’est donc qu’un moment court de sa vie. Nous serons alors tenté d’assimiler cette tendance à un certain art de la performance.
Vous l’aurez compris, je ne pense pas que nous puissions parler de style particulier pour l’architecture numérique, et encore moins pour les travaux de l’exposition Architectures non standard. Comme je le disais dans mon article précédent, ce sont des grandes tendances qui émergent plutôt qu’un vocabulaire formel.
Un lien vers la fabrication de l’architecture
Architectures non standard, un titre faisant référence bien entendu à la notion de standardisation, et donc à l’industrialisation de l’architecture (idée chère au Mouvement Moderne). Le choix du nom de cette exposition n’est pas anodin tant les technologies numériques questionnent ce rapport à la production. Comme le définit le catalogue de l’exposition, une architecture non standard amène une « réflexion sur le langage de l’architecture ainsi que sur son champ d’application à partir de l’exploitation des éléments numériques ». Nous noterons que le terme non standard dans le domaine architectural revient à Bernard Cache (dont le travail était exposé), un terme qu’il applique à la fois à la forme des ouvrages et aux pièces préfabriquées, non répétitives et souvent complexes que l’architecture numérique permet de réaliser.
Bernard Cache fait ici appel à la préfabrication, mais un travail en usine différent de celui des modernes. Alors que les grandes théories du XXème prônaient plutôt une fabrication en série d’éléments standard (et donc une certaine rapidité de la construction), les préoccupations actuelles sont autres. Les formes générées par les outils numériques nécessitent parfois des technologies avancées pour être édifiées (retenons le travail de Gehry par exemple). La préfabrication apparaît ici comme une solution, un outil permettant d’obtenir de nombreuses variations et les éléments non standard d’un projet. La problématique de la rapidité est également sous-jacente. Les processus industriels sont bien entendus les plus appropriés pour réaliser des formes complexes rapidement.
L’architecture doit-elle alors tendre vers un modèle comme celui des industries automobiles et aéronautiques ? Lorsque nous parlons de préfabrication d’éléments de bâtiments, nombreuses sont les personnes qui voient dans ces propos un retour au vocabulaire formel des modernes. Mais il est évident que la réalisation ne va pas tendre vers une production industrielle comme l’automobile (bien qu’il soit aujourd’hui possible de tout choisir dans sa voiture), mais plutôt vers un autre modèle. L’aéronautique serait une possibilité, tant le lien entre conception numérique et réalisation sur les chaîne de production est fort. Notons d’ailleurs que l’architecture de Gehry utilise un logiciel initialement dédié à la conception de ces objets volants…
 
Huit ans après, Architectures non standard semble toujours d’actualité. Les dernières années nous ont montré la généralisation de l’outil numérique dans les agences d’architecture, mais aussi dans les écoles. Nous avons passé le cap du simple outil de dessin pour celui d’aide à la conception. Le numérique a impliqué une révolution formelle, mais surtout un changement dans le processus de conception. Et, à l’heure où nous envisageons une nouvelle manière de fabriquer l’architecture, les recherches sur la robotisation des chantiers sont lancées.
Rendez-vous dans huit ans donc…
Références
Frédéric Migayrou, Architectures non standard, Editions Centre Pompidou, décembre 2003
Antoine Picon, Culture numérique et architecture, une introduction, Birkhäuser, 15 avril 2010

Ce billet a été écrit par BENOIT SALLÉ, auteur invité sur complexitys.com

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9 comments

Anne Sophie 21 février 2012 - 13 h 19 min

Très pertinent de proposer un bilan critique dix ans après cette exposition majeure.
Sur la question d’un style de l’architecture numérique, ta position et ton constat rejoignent ceux d’Antoine Picon (Cf. p. 62) et d’autres historiens (de l’architecture): le style comme vocabulaire formel marqueur d’une production donnée. Dans ce sens, il est difficile d’ajouter un nouveau chapitre à la « Caractéristique des styles », comme tu le remarques justement.
Mais on peut recourir à d’autres définitions du style, non?!

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Benoit 29 février 2012 - 12 h 32 min

Anne-Sophie, en effet tu as raison. Je partage le point de vue d’Antoine Picon, et aussi de Jacques Lucan dans ce constat sur le style, et je trouve relativement pertinent de voir dans les productions contemporaines la présence de tendances globales.
D’autres définitions du style ? Pourquoi pas, et je suis preneur ! Pour moi le style est surtout en rapport avec le vocabulaire formel, et prendre toutes les théories relatives à la conception relèverait plutôt du mouvement, non ? La question suivante se pose alors : l’architecture numérique est-elle un mouvement ? Je ne pense pas qu’on puisse résumer un mouvement à l’utilisation d’un outil… Il faudrait peut-être avant tout avoir une réelle définition de l’architecture numérique !

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Francesco 1 mars 2012 - 9 h 28 min

Débat interessant. Je ne pense pas non plus que l’on puisse réduire un mouvement à l’utilisation d’un style. Je pense par contre que l’architecture paramétrique (plus que le numérique) est en train de générer des mouvements et une nouvelle pensée.
Cette pensée est basée principalement sur l’abandon des contraintes traditionelles du dessin et de la construction de l’architecture. Il y a a0 ans il aurait été difficile d’imaginer una architecture non-standard et adaptable compatible avec la fabrication industrielle.
À lire aussi:
https://complexitys.com/francais/le-numerique-en-agence-d%E2%80%99architecture-quelles-hybridations-des-pratiques-12/#more

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Anne Sophie 1 mars 2012 - 10 h 12 min

Je crois qu’il est temps d’un « full disclosure »!
Pour mon travail de thèse, j’ai justement cherché à interroger le style de l’architecture numérique, ce qui m’a amenée à examiner diverses définitions du concept de style.
Abordant l’architecture numérique par le versant « conception », j’ai été très influencée par l’ouvrage de Gilles-Gaston Granger « Essai d’une philosophie du style ». Selon cet épistémologue, « le style est la modalité d’intégration de l’individuel dans un processus concret qui est travail ». Le style comme faire plutôt que fait, donc.
Du coup je ne m’intéresse pas à l’architecture numérique en tant que mouvement ou style (i.e. catégorie construite a posteriori) mais j’examine plutôt ses « rouages », des opérations cognitives spécifiques, propres à un architecte ou partagées.
Et par architecture numérique, j’entends une architecture conçue avec l’aide des outils numériques et/ou d’une culture numérique. En cela, même si mon regard (poïétique) diffère de celui (historique) d’Antoine Picon, je rejoins complètement ses propos.
L’espace des commentaires est un peu restreint, mais voilà en deux mots « d’où je regarde » cette affaire!

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Benoit 1 mars 2012 - 15 h 29 min

Anne Sophie, j’avoue que là tu places la barre asse haut…
La démarche de ta thèse, tu as raison de le spécifier, remet en question les propos que nous tenions dans les commentaires précédents. La définition que tu donnes du style est vraiment particulière, et ce n’est pas du tout celle que j’avais en tête. Comme quoi, il est important de revenir aux bases pour se comprendre.
C’est vrai que ton regard est différent de celui de Picon, et c’est expliqué par ton étude de « rouages » comme tu dis. Par contre, je suis curieux de savoir quelle limite tu donnes à la conception « à l’aide d’outils numériques ». Le simple fait d’utiliser un logiciel de dessin n’est-il pas une première utilisation basique de l’outil ? Créer une image de rendu est aussi une opération simple, mais implique forcément une remise en question du projet (même minime)… Tu n’as peut-être pas voulu rentrer dans les détails !
Je pense que Francesco est dans le vrai quand il dit que le paramétrique est une étape supplémentaire. Du coup, je me pose pas mal de question sur le terme même d’architecture numérique. Dans quelques années, tous les architectes utiliseront cet outil, et le terme n’aura plus aucun sens, non ? C’est un peu comme si on disait maintenant, « je fais de l’architecture de croquis » !
La balle est dans ton camp !

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Anne Sophie 1 mars 2012 - 16 h 49 min

Concernant l’utilisation des outils, on fait en effet face à une variété de pratiques.
Mais il est important de distinguer conception du projet / conception de la représentation du projet. Ce sont des activités différentes. Dans ce sens, « créer un image de rendu », c’est concevoir la représentation du projet, et non concevoir le projet lui-même.
Après, les activités peuvent interagir: en concevant l’image, l’architecte peut être amené à reprendre des étapes du processus de conception (influence technique), ou encore l’image produite va influencer la suite du projet, mais cette fois, elle agit sur l’imaginaire du concepteur (influence métaphorique).
D’autres couples notionnels fonctionnent également sur l’utilisation de l’outil: lâcher prise / contrôle, (Cf. S. Bourbonnais), usage standard / expérimental… Tout dépend de l’attitude du concepteur: délègue-t-il à l’ordinateur une tâche strictement encadrée, ou part-il à l’exploration des possibilités de son outil?

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