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Fabrication numérique et architecture

by HDA Paris

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Pavillon Suisse, Biennale d’Architecture de Venise, Gramazio & Kohler, 2008
Source: dfab.arch.ethz.ch

Vous pouvez voir depuis début mars sur complexitys.com des articles au sujet des FABLABs. Je vais donc mettre moi aussi ma pierre à l’édifice en abordant le lien entre conception architecturale et fabrication numérique. Je faisais référence dans mon dernier article à la notion d’architecture non standard, pour rappeler une exposition de 2003 qui mettait en scène des projets présentant une véritable continuité entre conception et fabrication.
En utilisant les technologies des milieux industriels, l’architecture s’ouvre de nouvelles portes. Comme le montre le travail de HDA, l’approche du projet a changé depuis l’introduction de l’outil informatique dans ce domaine. Pourquoi pouvons-nous aujourd’hui créer des projets avec des outils puissants (à l’image du paramétrique) alors que le monde de la construction tire peu profit des nouvelles technologies ?

Revoir le cadre productif, une nécessité
Si nous nous attachons à la conception paramétrique, qui constitue selon moi une des meilleures représentations de l’impact du numérique sur la conception, il est évident que l’outil informatique permet la création de formes nouvelles. Sans parler de vocabulaire formel particulier, nous pouvons voir dans ces projets une tendance à la complexité. Cependant leur introduction implique des méthodes constructives différentes, et nous faisons ainsi face à la nécessaire mutation du cadre productif.
L’utilisation de l’informatique pour la production de rendus, une pratique très répandue dans les agences, semble oublier une des principales caractéristiques de cet outil. En effet, les questionnements actuels autour du Building Information Model (BIM) mettent en avant la possibilité de nourrir de données la modélisation d’un projet par l’informatique. C’est dans cette capacité que nous devons voir la possible mutation de la production, qui pourrait s’inspirer de l’industrie aéronautique où le modèle des pièces accompagne les phases de conception et de réalisation. Notons par ailleurs que le logiciel utilisé par Gehry Technologies est basé sur CATIA, un programme issu de ce domaine.
L’agence HDA se place dans cette dynamique avec des projets comme la passerelle des JO de Turin. Comme me l’expliquait Francesco Cingolani il y a peu de temps, « l’arc est réalisé avec des tôles découpées numériquement. La fabrication vient du modèle dxf. Cela permet de produire d’une façon assez agile toutes les pièces ». Nous noterons d’ailleurs que ses propos mettent en avant le besoin de précision pour ces éléments. Lorsque nous parlons de géométries complexes générées informatiquement, il est évident que les méthodes de fabrication artisanales impliquent une marge d’erreur plus importante.
Revoir les méthodes de production, un moyen
Pour cette deuxième partie, je repartirai des propos de Francesco Cingolani. En faisant référence à la découpe numérique, il nous montre deux éléments importants dans la mutation du cadre productif dont je parlais précédemment.
Tout d’abord, nous noterons la composante informatique du processus de fabrication. En effet, nous avons pour le moment toujours résumé l’architecture numérique aux pratiques faisant usage de cette technologie lors des phases de conception. Mais l’ordinateur « apparaît également dans le centre à partir duquel se distribue toute une série de machines destinées à permettre une élaboration de prototypes et une fabrication rapide » (Picon, 2010, p.166). Comme je le mentionnais au début de cet article, la vague des FABLABs qui déferle actuellement constitue une partie de ce cercle qui gravite autour de l’ordinateur. Les technologies actuelles nous permettent de fabriquer nous-même les objets, en créant une réelle continuité entre processus de création et de production. Ce qui arrive au design d’objets peut également être transposé aux éléments constitutifs de l’architecture. Je ne dis pas que vous pourrez dans un futur proche fabriquer vous-même des poutres treillis, mais il est évident que les nouvelles méthodes de conception doivent créer un lien fort entre la création intellectuelle et réalisation physique. Les outils à commande numérique sont voués selon moi à une plus grande généralisation dans le domaine de la construction.
Mais s’il est évident que ces technologies nous permettront de tirer profit de la véritable valeur ajoutée de l’ordinateur, elles semblent pour le moment réservées à l’industrie. Nous faisons face à de nouveaux questionnements sur l’industrialisation de l’architecture, mais l’enjeu n’est pas cette fois-ci de produire en série (comme les théories des modernes), mais  bien d’utiliser les capacités de ces moyens de production. Les industries automobile et aéronautique constituent des exemples dont nous devons nous inspirer, car c’est bien par des technologies de fabrication de pointe que nous pourrons produire des pièces différentes et complexes.
Revoir le chantier, un nouveau spectacle
Nous l’avons vu précédemment, les technologies de fabrication numérique créent un nouveau cadre productif, plutôt inspiré de l’industrie que d’une construction artisanale. Cependant, nul doute que ces procédés restent pour le moment cloîtrés dans les usines, et imaginer une éventuelle transposition est difficile.
Je m’appuierai alors sur les travaux des architectes suisses Fabio Gramazio et Matthias Kohler. La démarche initiée depuis 2005 à l’ETH (Eidgenossische Technische Hochschule) de Zürich s’intéresse justement au déplacement de ces technologies dans un nouveau contexte. Leurs expérimentations se sont appuyées sur l’utilisation d’un robot capable d’exécuter un très grand nombre de tâches, une technologie directement tirée des chaînes de production. Pour leurs différents projets, les architectes utilisent ce robot pour assembler des éléments de petite taille, des briques le plus souvent, qui sont ensuite transportés. Nous nous trouvons donc dans un système de préfabrication classique, du moins pour leur démarche initiale. En effet, en 2008 une étape est franchie par la création du ROB-Unit, un container pour déplacer le robot de sites en sites. Nous sommes ici entièrement dans le transfert de technologies de fabrication industrielle qui permettent ainsi de combiner les avantages de la préfabrication (précision, qualité) et de la production juste-à-temps (procédé issu de l’industrie visant à minimiser les stocks). Gramazio & Kohler ont d’ailleurs appliqué directement cette démarche en réalisant un voile continu de briques pour le Pavillon Suisse de la Biennale de Venise en 2008.

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Flight Assembled Architecture, FRAC du Centre, Gramazio & Kohler, 2008
Source: dfab.arch.ethz.ch

J’ajouterai enfin qu’une nouvelle étape a été franchie dernièrement par ces deux architectes. Entre décembre 2011 et février 2012, le FRAC du Centre a accueilli l’exposition Flight Assembled Architecture (en collaboration avec l’ingénieur Raffaello D’Andrea), un projet de tour de six mètres en éléments légers construits entièrement automatiquement par des robots volants. Ici, la démarche nous montre un nouveau transfert, celui de technologies de robotiques appliquées à l’architecture. En effet, la tour construite est une maquette au 1:100 d’un village vertical conçu pour 30 000 habitants, dont les éléments assemblés sont des unités de vie. Mais avec le ballet aérien de ces robots travaillant sans l’aide de l’Homme (sa seule intervention se résume à la modélisation de la tour et à l’écriture des algorithmes nécessaires pour la construction), la réflexion architecturale s’efface derrière le spectacle de l’assemblage. Même si je suis persuadé que l’édification d’un ouvrage est une étape importante, il va de soi qu’elle ne peut pas résumer à elle seule un projet.
Si nous reprenons l’exemple du voile de briques du Pavillon Suisse, il est évident que le principal intérêt ne réside pas dans la forme finale, mais bien dans la prouesse technique (et peut-être esthétique) d’une construction entièrement automatisée. L’introduction des outils informatiques dans l’architecture semble donner une nouvelle place à cette performance. La robotisation donne ainsi un nouveau statut au chantier, celui de la scène. Ce n’est d’ailleurs pas innocent si les deux exemples que j’ai mentionnés sont réservés aux centres d’art ou aux grandes expositions.
Mais la conception par les outils numériques appuie aussi cette caractéristique. En effet, les logiciels nous donnent actuellement beaucoup de liberté quant aux déformations des surfaces et des volumes. La recherche formelle s’apparente alors à une histoire que le concepteur aurait figée au meilleur moment, pour le choix de la forme finale. Nous nous trouvons ainsi dans cette dimension spectaculaire.

Références

Antoine Picon, Culture numérique et architecture, une introduction, Birkhäuser, 15 avril 2010
Gramazio & Kohler, Digital Materiality in Arcitecture, Lars Müller Publishers, 21 octobre 2008

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