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L'architecte est-il un DJ ?

by HDA Paris

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Du traitement du signal à la nappe tridimensionnelle
Crédit photo : Benoit Sallé

Je profite de mon retour sur complexitys pour écrire sur mes deux passions : l’architecture et la musique. En décembre dernier se sont déroulées les Transmusicales, un rendez-vous immanquable pour les mélomanes/fêtards de la région rennaise. Et c’est pendant un concert que j’ai eu une sorte de révélation. Un rapide coup d’œil sur la programmation révèle la place incontestable laissée aux DJ. Que ce soit au début ou au  point culminant de la soirée, il est indéniable que ce personnage est aujourd’hui érigé au même statut qu’un groupe à la formation plus classique.

Dresser un parallèle entre le DJing et l’architecture, c’est un défi que je me lance sur fond sonore d’un mix de la Boiler Room. J’aborderai les différents aspects qui les lient selon deux points : composition et importance du rythme, impact des technologies numériques.
Deux pratiques aux nombreuses ressemblances…
En musique comme en architecture, tout est histoire de rythme et de composition, et la collaboration entre Xenakis et Le Corbusier sur le Couvent de la Tourette ne contredit pas ce constat.
A la base de toute composition musicale, le rythme est la donnée clé (notons d’ores et déjà la présence d’un vocabulaire commun entre les deux pratiques : rythme, composition). Le DJ set n’échappe pas à la règle, et il serait réducteur de le résumer au simple passage de disques. En effet, sur plus d’une heure de musique sans interruption, le DJ joue sur les BPM (Battements Par Minute) par le biais d’un tracklisting progressif et adapté à la soirée. Ce qui peut paraître au premier abord comme un simple enchaînement de titres est une œuvre plus globale dont l’atmosphère varie selon des séquences aux rythmes différents.
Les points évoqués précédemment font appel à de nombreuses thématiques de l’architecture. La pratiquer s’apparente en effet à la préparation d’un set. Chaque projet étant lié à une commande, l’ouvrage doit s’inscrire dans un contexte particulier, et l’architecte se doit de composer pour obtenir une ambiance en accord avec le site.
De plus, nous pouvons adopter deux types de lecture d’un bâtiment, relativement proche de celle d’un DJ set. D’un point de vue général d’abord, un projet architectural doit être envisagé dans sa globalité. Il est alors important de s’attacher aux différentes ambiances qui caractérisent les séquences le long d’un parcours : l’approche, l’entrée, l’intérieur et les lieux qui le constituent, la sortie… Ces moments clés font directement appel à la manière dont un set est constitué. Il est évident que les titres qu’un DJ passe dès son entrée en scène seront bien différents des moments durant lesquels la foule se déhanche. La principale composante entrant en compte est sans doute le rythme. Et nous sommes d’accord qu’en architecture comme en musique, sans rythme, on s’endort…
C’est alors en s’attachant à une lecture plus détaillée que nous parvient la seconde approche, celle dont la tendance est à la discrétisation de l’ensemble bâti. L’architecture, au même titre qu’un DJ set, est un assemblage d’éléments disparates. Le choix de ceux-ci définit l’harmonie recherchée dans la composition. Choisir une chanson ou un matériau repose alors sur la même démarche : aucune fausse note n’est pardonnée. Bon nombre de projets se voient dévalorisés à cause d’un mauvais choix de texture de façade ou de mobilier, bien souvent pour des questions d’économie.
Nous pouvons également établir un autre lien entre le DJ et l’architecte, celui du dialogue avec son audience. C’est par l’appel à une culture commune que celui-ci peut s’établir, que le public soit dans une salle de concert ou sur le parvis d’un bâtiment. Alors que le DJ jouera des tubes, l’architecte utilisera les références aux mouvements ayant constitué l’histoire de la construction. Pour un public déjà conquis ou initié, le DJ jouera ses propres morceaux ou mixera un style de musique particulier ; l’architecte usera et abusera de son propre geste, au risque de déplaire à certains. Cependant, alors que vous pouvez choisir d’assister ou non à un concert, l’architecture s’impose toujours aux yeux de tous…
L’informatique comme révolution de ces pratiques.
Nous avons vu les liens entre le DJ set et la pratique du projet architectural. Il est évident que ces propos sont transposables sur la musique en général, mais si j’ai décidé de m’intéresser au DJing, c’est aussi pour l’impact des technologies numériques dans ce milieu.
Afin de révéler le talent d’un DJ, la culture musicale est une condition nécessaire. Et une tracklist bien établie s’appuie forcément sur un grand vivier de titres. C’est ici que les nouvelles technologies ont changé la donne. Aujourd’hui, grâce aux nombreuses plates-formes d’écoute disponible sur le Web, vous pouvez vous constituer une culture musicale digne de ce nom sans débourser un sou dans un vinyle, un cd ou un titre mp3. Bien entendu, il en va de même pour la culture architecturale. Grâce à des sites bien renseignés et l’avis de spécialistes sur le Web, il est plus facile de connaître en détail les grands mouvements architecturaux. Cependant, les références de l’architecte ne peuvent se limiter à celles relatives à son domaine professionnel. Sa culture repose aussi sur de nombreuses représentations (de la société, de projets, d’œuvres artistiques, etc.) et nul doute que Google Images est extrêmement visité en agence.
Même si le vinyle a toujours séduit les puristes et vit aujourd’hui un second souffle, l’ordinateur s’est peu à peu invité aux côtés des platines dans les soirées. Rares sont les DJ qui n’accompagnent pas leur prestation d’effets numériques (qu’ils soient générés depuis un ordinateur ou d’autres outils). Ce qui pousse souvent à représenter cet homme de l’ombre avec une mine rétro-éclairée par son écran, comme pourrait l’être l’architecte derrière son bureau. Alors que les logiciels de mixage live permettent au DJ d’ajouter de nombreux effets pendant les concerts, l’architecte tire lui aussi profit des nouvelles technologies. Il n’est bien sûr pas question de prendre un bâtiment et de le déformer pour qu’il corresponde plus à l’image d’un nouveau concepteur, mais les possibilités offertes par les nouvelles technologies permettent de tester de nombreuses solutions formelles au même titre qu’un remix, et d’en mesurer les conséquences directes. Ajouter des basses pourrait s’apparenter à disproportionner un volume, appliquer des filtres reviendrait à changer les couleurs des façades. L’objectif est en tout cas le même pour les deux domaines : atteindre l’harmonie et l’ambiance recherchée en jouant sur certains paramètres dont l’effet immédiat peut être mesuré.
Enfin, je terminerai sur les possibilités offertes par Internet sur la diffusion des œuvres de nos deux protagonistes. Les plates-formes de diffusion de musique, comme SoundCloud, permettent à chaque DJ de faire sortir son set des salles de concert et autres nightclubs, et de le proposer en écoute gratuite. De même, l’architecte dispose aujourd’hui de nombreux outils pour montrer aux yeux de tous son travail : blogs, sites de leur agence ou bien spécialisés… Dans les deux cas, le Web se révèle être un outil de communication redoutable, que ce soit pour la recherche de nouvelles dates ou pour gagner de nouveaux marchés.

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