Ce que certains appellent architecture et design paramétrique (un domaine qui doit encore trouver, à notre avis, une dénomination satisfaisante) et qui représente une clé de notre approche à l’architecture et à la création, peut être défini avec la formulation suivante, centrée sur l’environnement des objets plutôt que sur les objets eux-mêmes : le design paramétrique consiste à faire réagir les objets et les architectures à des données (paramètres ) propres de l’environnement espace (ensoleillement, position par rapport à d’autres objets voisins, exposition au vent et aux forces mécaniques, etc… ) et temps ( heure de la journée, jour de l’année, etc…). Il s’agit donc de rendre l’architecture et les objets sensible à ces données ou, encore plus précisément , de doter le processus de conception de cette sensibilité. C’est bien cette sensibilité qui transforme l’architecte utilisant cette approche en un medium : son rôle ne serait plus de dominer les éléments du monde naturel pour les plier à sa volonté mais plutôt de les écouter, les interpréter et les canaliser afin de coordonner le processus de création architecturale comme une mise en forme de la matière qui répondrait à une nécessité intrinsèque des choses.
Pour un architecte (et pour son égo), ces réflexions peuvent avoir un grand impact.
C’est en relation avec ces pensées que nous avons récemment discuté à l’agence de l’oeuvre de Philippe Rahm, un architecte qui suscite notre intérêt pour avoir notamment formalisé cette approche dans une recherche artistique et dans des oeuvres d’une clarté remarquable. Dans « domestic astronomy », une installation réalisé en 2009 dans le cadre de l’exposition « Green Architecture for the Future » à Humlebæk en Denmark, Philippe Rahm conçoit un appartement dans lequel la position des meubles et des installations techniques ne sont pas déduites de manière esthétique ou avec un processus traditionnel de conception architecturale, mais en fonction des conditions de températures optimales. Dans une boîte qui délimite le volume d’une habitation il y a des grandes variations de température (voir images ci-dessous) ; Domestic astronomy place les objets à la bonne hauteur en fonction de ces données invisibles, allant au delà de la restriction de la force de gravité qui ferait descendre les meubles au sol.
D’où la référence à l’astronomie et à l’espace en absence de gravité.
Philippe Rahm explique ainsi ses propos :
Le projet « Domestic astronomy » est le prototype d’un appartement dont on habiterait non plus la surface mais l’atmosphère. Quittant le sol, les fonctions et le mobilier s’élèvent, se dispersent, s’évaporent dans l’atmosphère de l’appartement, se stabilisant selon certaines températures en relation avec le corps, l’habillement et l’activité.
Selon la loi d’Archimède, l’air chaud monte tandis que l’air froid descend et cette réalité physique a une influence directe sur la répartition des températures à l’intérieur d‘un appartement.
[…]
Notre propos est aujourd’hui de prendre en compte ces disparités physiques dans la répartition de la température dans l’espace et d’en profiter pour transformer la manière d’habiter l’espace en quittant l’exclusivité d’un mode d’habitation horizontal en intérieur pour un mode d’habitation vertical où l’on peut habiter différentes zones thermiques, différentes strates, différentes altitudes.
Mais cette oeuvre fait bien partie d’une volonté plus vaste qui semble pouvoir aller jusqu’à l’échelle de la ville. On peut lire dans la manifeste de l’architecte POUR UNE ARCHITECTURE METEOROLOGIQUE :
Le changement climatique nous oblige à repenser profondément lʼarchitecture et à déplacer notre intérêt dʼune approche purement visuelle et fonctionnelle, à une approche plus sensible qui sʼattarde dʼavantage sur les paramètres invisibles et climatiques de lʼespace. Glissant du plein au vide, du visible à lʼinvisible, de la composition métrique à la composition thermique, lʼarchitecture comme météorologie ouvre d’autres dimensions, plus sensuelles et plus variables, dans lesquels les limites se dissipent et les pleins sʼévaporent. Il ne sʼagit plus de construire des images et des fonctions, mais dʼouvrir des climats et des interprétations. À grande échelle, lʼarchitecture météorologique explore le potentiel atmosphérique et poétique des nouvelles techniques du bâtiment que sont la ventilation, le chauffage, le renouvellement dʼair double-flux ou l’isolation. À l’échelle microscopique, elle sonde de nouveaux champs de perception cutanée, olfactive, hormonale. Entre lʼinfiniment petit du physiologique et lʼinfiniment grand du météorologique, lʼarchitecture doit construire des échanges sensuels entre le corps et lʼespace et y inventer de nouvelles esthétiques capables de modifier durablement la forme et la manière dʼhabiter de demain.
Pour conclure, il est important de signaler un très bel article de Guy Lelong sur la revue d’art contemporain M19, en partie disponible ici, intitulé « Philippe rahm ou l’architecture déduite de ses propriétés météorologiques » dont je reporte un extrait ci-dessous:
Une conception non historiciste de l’histoire de l’art conduit à admettre l’existence de récits transverses. L’un d’eux, ici qualifié par la notion de « déductions de l’art », identifie un renversement de la pensée artistique, apparu avec Mallarmé à la fin du xixe siècle et qui se poursuit jusqu’à aujourd’hui à travers l’ensemble des domaines artistiques. Ce renversement de la pensée peut être ainsi défini : alors que toute une tradition artistique occidentale dominante tend à imposer des idées ou des systèmes a priori aux propriétés des langages, des médiums, voire des lieux d’accueil des œuvres, cette pensée tend tout à l’inverse à déduire un sens multiple de l’exploration de ces propriétés.
La recherche que Philippe Rahm a engagée sur les propriétés météorologiques de l’architecture procède de ce principe déductif. En définissant le médium de l’architecture à partir des propriétés météorologiques de l’espace, que sont la température, l’humidité relative et l’intensité lumineuse, Philippe Rahm s’éloigne à la fois de l’architecture ancienne et de l’architecture moderne, puisque l’organisation architecturale porte alors exclusivement sur le vide et qu’une part prépondérante est accordée aux propriétés invisibles de ce vide.
[…] il ne s’agit nullement de proposer un nouveau fonctionnalisme architectural qui serait davantage d’actualité. Il s’agit tout au contraire d’analyser l’espace architectural en fonction de ses propriétés météorologiques, voire physiologiques, aujourd’hui aisément mesurables, afin d’inventer des architectures à partir de l’organisation de ces propriétés. Bien plus, « en renversant l’ordre hiérarchique entre la fonction et le climat », Philippe Rahm fait l’hypothèse d’une architecture qui « pourrait ne pas répondre à un usage préétabli » et « dont la fonctionnalité émergerait “comme par hasard” de problèmes ou de solutions climatiques ».
À suivre, deux vidéos sur Philippe Rahm que Gaetan Kohler de HDA a partagé avec moi lors de nos échanges au sujet de l’architecture performantielle ( performance driven design ).